Méthode de drift-scan pour l’occultation d’étoiles par des astéroïdes

Une courte explication théorique

Introduction

Le "drift-scan" est une technique importante pour observer de manière précise les occultations d’étoiles par des astéroïdes (pour plus de détails, voir l’article Travaux sur les astéroïdes ainsi que le site d’Euraster.net). Cette technique se fonde sur la capacité qu’ont les caméras CCD à produire des images ligne par ligne de manière continue. L’utilisation de cette caractéristique des caméras CCD permet de mesurer de manière précise les instants de disparition et de réapparition d’une étoile lors d’une occultation.

Cet article a pour objectif de décrire la technique du drift-scan au moyen de petits schémas simples qui montrent ce qui se passe lors de la phase d’acquisition d’un drift-scan avec une caméra CCD. Afin de simplifier, on supposera que l’on possède une caméra CCD avec 10 lignes de pixels et que l’on réalise un drift-scan pour surveiller la luminosité d’une étoile grossièrement centrée sur la matrice CCD. On supposera qu’un astéroïde éclipse l’étoile pendant une brève période de temps et que l’on cherche à connaître de manière précise les instants de disparition et de réapparition de l’étoile.

Analyse pas à pas de la construction du drift-scan

Analysons pas à pas comment notre drift-scan se construit au fur et à mesure que les lignes de pixels sont envoyées par la caméra en direction du PC qui la contrôle.

Figure 1
Le premier schéma (Figure 1) montre notre étoile à peu près centrée sur la matrice CCD. On a défini la largeur de notre zone de drift-scan (en pointillés sur la figure) et les pixels en dehors de cette zone seront ignorés. A l’instant t=S, on expose notre première image. La durée de l’exposition est notée τ. Le drift-scan est pour l’instant vide, c’est à dire qu’il n’a reçu aucune ligne de la part de la caméra CCD. Le buffer qui reçoit chaque ligne constituant l’image de drift-scan est en bas de la matrice CCD.
Figure 2
A l’instant S+τ (Figure 2), toutes les lignes de la caméra CCD sont décalées d’une position vers le bas la matrice. L’image de l’étoile qui se trouvait sur la ligne 5 du CCD est transposée sur la ligne 6. La ligne 5 est alors une nouvelle fois exposée et elle reçoit à nouveau la lumière de l’étoile.

Notre image de drift-scan, quant à elle, a reçu sa première ligne qui est arrivée dans le buffer en bas du CCD (numérotée en bleu sur la gauche). Cette première ligne du drift-scan correspond à la 10ème ligne de la caméra exposée à l’instant S. On note donc cette première ligne du drift-scan :

10 [S]

On remarque que notre drift-scan ne voit pas encore l’étoile puisque la ligne du CCD possédant de l’information sur l’étoile n’a pas encore atteint le bas de la matrice CCD.
Figure 3
A l’instant S+2τ (Figure 3), un nouveau décalage a lieu sur les lignes de la caméra et le drift-scan a reçu une seconde ligne notée :

9 [S] + 10 [S+τ]

Il s’agit en effet d’une combinaison de l’exposition de la ligne 9 du CCD à l’instant S et de l’exposition de la ligne 10 à l’instant S+τ (cette ligne a donc subi deux expositions d’une durée τ). L’étoile n’apparaît toujours pas sur le drift-scan. Sur la matrice de la caméra CCD, l’image de l’étoile prise à l’instant S continue de « voyager » vers le bas.
Figure 4
A l’instant S+6τ (Figure 4), l’image de l’étoile apparaît enfin sur le drift-scan à la ligne 6 ! Cette ligne est la combinaison de 6 expositions, la première de ces expositions étant celle de la ligne 5 du CCD à l’instant S (en rouge sur la figure) et la dernière étant celle de la ligne 10 du CCD à l’instant S+5τ.

Cette ligne 6 du drift-scan représente donc l’image de notre étoile à l’instant S. Elle témoigne de ce qui s’est passé à l’instant S pour notre étoile et on fera donc un lien entre cette ligne du drift-scan et l’instant S (en vert à gauche du drift-scan sur la figure).
Figure 5
A l’instant S+7τ (Figure 5), une nouvelle ligne est ajoutée au drift-scan et cette ligne contient l’information sur l’étoile obtenue sur la ligne 5 du CCD à l’instant S+τ. (en rouge sur la figure). La ligne 7 du drift-scan possède donc de l’information sur l’étoile à l’instant S+τ (en vert sur la figure).

On voit donc que notre drift-scan apporte des informations sur notre étoile avec un décalage correspondant au nombre de lignes qui séparent notre étoile du bas de la matrice CCD. Dans notre cas, il s’agit de 5 lignes.

Imaginons maintenant que notre étoile subit une courte occultation et voyons ce qui va se passer sur notre drift-scan. Pour simplifier l’explication, on supposera que l’occultation se produit exactement sur une durée τ à l’instant S+10τ.
Figure 6
A l’instant S+10τ (Figure 6), l’étoile est occultée et n’apparaît donc pas sur la ligne 5 de la matrice CCD. L’image de l’étoile continue à apparaître sur les lignes du drift-scan du fait du décalage provoqué par le « voyage » de l’image de l’étoile vers le bas du CCD.
Figure 7
A l’instant S+11τ (Figure 7), l’étoile réapparaît sur la ligne 5 de la matrice CCD. Le « trou » maintenant présent sur la ligne 6 de la matrice CCD n’a pas encore atteint le bas de la matrice CCD et n’apparaît donc pas encore dans le drift-scan.
Figure 8
A l’instant S+15τ (Figure 8), notre « trou » a atteint le bas de la matrice CCD et se prépare à entrer dans le drift-scan.
Figure 9
A l’instant S+16τ (Figure 9), le « trou » (l’occultation) est entrée dans le drift-scan. On constate bien que cette 16ième ligne du drift scan contient de l’information (en l’occurrence une information d’occultation) qui a été acquise à l’instant S+10τ.
Figure 10
Quelques acquisitions plus tard, par exemple à l’instant S+19τ (Figure 10), notre drift-scan montre que l’occultation est terminée et que l’étoile est réapparue à l’instant S+11τ.

Ce petit exercice montre que l’analyse du drift-scan va nous permettre de mettre en correspondance une ligne donnée du drift-scan avec l’instant de début de l’acquisition. Dans notre petit exemple, on met en correspondance la ligne 6 du drift-scan avec l’instant S. On peut dire qu’en quelque sorte on a « étalonné » notre drift-scan puisque l’instant S est supposé connu (c’est l’heure exacte de démarrage de l’acquisition du drift-scan correspondant à l’ouverture de l’obturateur de la caméra CCD).

Une fois cet étalonnage réalisé, la mesure des lignes du drift-scan où l’étoile disparaît puis réapparaît va nous permettre de calculer les instants exacts de début et de fin d’occultation. Dans notre exemple, l’étoile disparaît à l’instant S + 10τ car on compte 10 lignes où l’étoile est visible avant de disparaître. De même, l’étoile réapparaît à l’instant S + 11τ.

L’image ci-dessous montre une image typique d’un drift-scan obtenu lors de l’occultation très franche d’une étoile par un astéroïde :

Image de drift-scan

On voit qu’une autre étoile faible est visible en dessous de la trace principale de l’étoile occultée, mais celle-ci sera ignorée lors du traitement de l’image de drift-scan.

Analyse du profil photométrique

Voyons un peu plus en détail comment extraire les informations d’occultation de l’image de drift-scan. La première chose à faire est de dériver de l’image de drift-scan un profil photométrique qui a l’allure suivante :

Figure 11

L’axe horizontal représente les lignes du drift-scan, c’est-à-dire l’échelle de temps (en effet, comme on l’a vu dans la première partie de l’article, le drift-scan produit des lignes selon un intervalle fixe qui est le temps d’intégration de chaque ligne de l’image sur le CCD. Chaque ligne peut donc être associée à un instant unique). L’axe vertical représente l’intensité lumineuse mesurée sur chaque ligne au niveau de l’étoile que l’on étudie (d’où le nom de profil photométrique).

Dans la première partie du profil, l’étoile n’est pas présente et la valeur photométrique est très basse. A un certain moment (i.e. à une certaine ligne), l’étoile apparaît sur le drift-scan et le profil photométrique monte brusquement. La connaissance de cet instant et de la ligne correspondante est fondamentale car cela permet d’étalonner notre mesure.

A un instant donné, le signal photométrique chute. C’est l’occultation. Après un certain temps, le signal remonte et l’occultation est terminée.

La connaissance des heures de début et de fin du drift-scan ainsi que du nombre de lignes du drift-scan permettent de calculer le temps de ligne τ, c’est-à-dire le temps d’intégration séparant l’arrivée de deux ligne successives dans l’image de drift-scan. Ce temps de ligne est tout simplement la différence des deux instants de fin et de début du drift-scan (tf - ti) divisé par le nombre de lignes N du drift-scan.

Notre but est de déterminer le plus précisément possible l’instant d’apparition de l’étoile sur le drift-scan, les instants auxquels commence et se termine l’occultation, ainsi que l’instant auquel se termine le drift-scan. Cela revient donc à déterminer les instants correspondant aux points S, D, R et E sur le profil photométrique.

Pour arriver à ce résultat, le profil photométrique de l’occultation doit être interprété afin d’obtenir :

 La ligne précise correspondant au point S d’apparition de l’étoile sur le drift-scan (c’est l’étalonnage) sachant que l’on connaît l’instant de cet événement (c’est tout simplement l’instant auquel on a réalisé la première image du drift-scan) ;

 La ligne précise correspondant au point D de disparition de l’étoile. On en déduira immédiatement l’instant de cette occultation puisque l’on connaît la ligne du point S et son instant associé, ainsi que le temps de ligne ;

 La ligne précise correspondant au point R de réapparition de l’étoile. On en déduira immédiatement l’instant de cette réapparition puisque l’on connaît la ligne du point S et son instant associé, ainsi que le temps de ligne ;

 La ligne de fin de drif-scan correspondant au point E.

Le calcul précis des lignes correspondant aux points S, D et R fournit bien sûr des valeurs non entières. Ces lignes sont calculées par régression linéaire en utilisant chaque fois 3 points du profil photométrique.

Calcul des instants clés du profil photométrique

Notons xS, xD, xR et xE les abscisses des lignes correspondant aux points S, D, R et E sur le profil photométrique. De plus, notons N le nombre de lignes du drift-scan, ti le temps de démarrage du drift-scan et tf le temps de fin. On a vu que le temps de ligne τ vaut :

τ = (tf - ti)/N

Les instants correspondant aux 4 points S, D, R et E peuvent maintenant être calculés simplement de la manière suivante :

 tS = ti
 tD = ti + (xD - xS)*τ
 tR = ti + (xR - xS)*τ
 tE = tf - xS*τ

En effet, comme on l’a vu dans la première partie de cet article, le temps associé au point S est l’heure de début de drift-scan ti. L’instant tD est obtenu simplement en ajoutant à ti le nombre de lignes entre les points D et S multiplié par le temps de ligne. De la même façon, l’instant tR est obtenu simplement en ajoutant à ti le nombre de lignes entre les points R et S multiplié par le temps de ligne. Enfin, le point E se survient bien à l’instant tf de fin du drift-scan moins le temps de parcours de l’étoile jusqu’au registre CCD (et ce temps vaut xS*τ).

Une autre façon de démontrer la formule donnant le temps tE est de remarquer que :

tE = ti + (xE - xS)*τ

donc tE = ti + xE*τ -xS*τ

or ti +xE*T n’est rien d’autre que tf. Donc :

tE = tf - xS*τ

Conditions pour la réussite d’un drift-scan

Plusieurs conditions doivent être respectées pour qu’une image de drift-scan puisse être correctement interprétée :

 Les lignes du drift-scan doivent être acquises de manière régulière, sans quoi les temps obtenus ne sont plus valides (en effet, les calculs ci-dessus montrent que l’on utilise le temps de ligne pour calculer les durées séparant deux points, et il faut donc bien que chaque ligne soit obtenue de manière très régulière).

 Il faut que la mise en station du télescope soit très bonne. En effet, si cette mise en station est imparfaite et que l’étoile se déplace dans le sens de la hauteur du CCD pendant l’acquisition du drift-scan, cela revient à dire que le décalage (le temps de voyage) de l’étoile par rapport au bas de la matrice CCD varie, rendant les temps calculés inexacts. Il est à noter que les déplacements éventuels de l’étoile dans le sens de la largeur de la matrice CCD sont sans importance puisqu’ils sont corrigés par le traitement qui ramène tout le flux lumineux de l’étoile sur une seule ligne.

 Les instants de début et de fin de drift-scan (ti et tf) doivent être connus de manière très précise.

Le premier point nécessite que l’on dispose d’une caméra CCD dont l’acquisition n’est pas affectée par l’activité de l’ordinateur auquel elle est connectée. C’est le cas par exemple avec une caméra de type Ethernaude qui possède sa propre puissance de calcul pour recevoir les images et qui garantie une acquisition régulière des lignes du drift-scan. Une caméra sur un port parallèle ou un port USB est beaucoup plus sensible à ce type de problème, et il est conseillé de veiller à ce que l’ordinateur pilotant le drift-scan soit entièrement dédié à la tâche d’acquisition (minimum de process, par d’interactions de l’utilisateur). Il faut procéder à des tests de manière à bien vérifier que les lignes sont acquises de manière régulière dans des conditions qui peuvent être répétées.

Le deuxième point peut être adressé en réalisant une image du champ juste avant le drift-scan et une autre image juste après. Si l’on observe que l’étoile s’est déplacée dans le sens de la hauteur du CCD d’un certain nombre de lignes, on peut "recaler" les temps correspondant aux point S, D, R et E en supposant que le déplacement dû à la mauvaise mise en station se fait de manière linéaire au cours du temps (ce qui est probablement assez juste en première approximation). Ainsi, si on a observé un éloignement de 10 lignes pendant les 100 secondes d’un drift-scan, on sait l’on doit enlever t*0.1 lignes sur une mesure de ligne située à l’instant ti+t.

Enfin, le dernier point peut être adressé en utilisant un système GPS couplé à la commande d’obturateur de la caméra CCD, comme c’est le cas par exemple avec le montage EventAude.

Conclusion

Correctement utilisée, la technique du drift-scan constitue un outil puissant pour déterminer les instants d’occultations d’étoiles par des astéroïdes avec une precision de l’ordre de quelques centièmes de seconde. Cette technique demande toutefois une très bonne maîtrise des conditions expérimentales et beaucoup d’entraînement pour être prêt le jour J !

D’autres articles décrivant la manipulation expérimentale et des comptes-rendus d’observations seront publiés dans les semaines et les mois à venir.